Actualités

Denis Poyadiles : Avec Marine le Pen on n'entend même plus le diable !

 le diable ricanera et nous en pleurerons

Je survole quelques pages de Libération, et je tombe sur ces lignes : «De votre vote dépend la place que, dans notre société, nous voulons donner aux personnes face aux pouvoirs de l’argent. Je pense à la solidarité envers les plus vulnérables, la possibilité de jouir de droits garantis ou encore d’accéder à la retraite en bonne santé.» C’est de Mélenchon, me dis-je, ou d’un autre candidat de gauche.

Non, Marine le Pen !

Ce n’est pas la première fois qu’elle imite et s’approprie le discours de gauche le plus ancré. C’est même une confiscation. Se faire passer, devant Macron, dénoncé comme le candidat des riches, des villes et de la technocratie élitiste, pour la candidate de la gauche, de la France populaire, provinciale, ouvrière et paysanne, oubliée des élites méprisantes, voilà le tour de force le plus éhonté qui soit.

Marine Le Pen préside le Rassemblement national, naguère Front national, parti d’extrême droite, créé par son père (certes rangé au placard), né de la colère et de la haine de Français hostiles à la démocratie, aux étrangers, aux juifs (les riches), attachés aux colonies, défenseurs de la torture en Algérie, de la peine de mort, anciens collabos, anciens nazis, séditieux, factieux, racistes à plein nez, etc. On connaît – ou on oublie ? – cette histoire, ce pan honteux de notre histoire nationale la plus délétère, la plus éloignée de tout progressisme.

Si Marine le Pen avait été soucieuse de trancher réellement avec ce passé, ne l’aurait-elle pas publiquement dénoncé ? N’aurait-elle pas tenu un discours de repentance, au minimum, n’aurait-elle pas organisé un aggiornamento qui l’aurait détachée officiellement de cette origine et de cette idéologie ?

Elle n’en a rien fait. Nulle repentance. Aucun discours rétroactif susceptible, au moins, de la distinguer de la nature antidémocratique, antirépublicaine de son mouvement rénové en façade. Et tout le monde a accepté. On l’a «banalisée», (mieux que «dédiabolisée», on n’entend même plus le «diable»), les médias l’ont reçue comme ils reçoivent les autres. Candidate normale.

Par une soigneuse campagne de communication, qui a dû coûter très cher tant il y avait de travail – mais cette femme est très riche –, et grâce au providentiel Zemmour qui a récupéré et transformé en puissance rhétorique toute la violence structurelle contenue dans le discours nationaliste et l’a un certain temps laissée sur sa gauche, elle s’est muée en large sourire, en mère élevant seule ses enfants, en tendre protectrice, entourée de chats et de jeunes gens qui ont tombé bombers, Doc Martens et poings américains – antisémitisme, racisme ouvert, «grand remplacement» non pas dénoncés mais jugés «ringards» dans leur forme de présentation – et ont affecté le profil de quasi ministrables. Elle parle même, non pas de «la» liberté, mais des «libertés». J’ai même lu en bas d’une affiche : «libertés chéries !»

Maquillage, habillage, mensonge et préservation du fonds sordide.

Le programme est en fait assez transparent si on prend la peine de le lire.

Que restera-t-il du discours de gauche une fois au pouvoir ? La retraite à 60 ans ? La revalorisation des salaires, des allocations, du RSA, du système de santé ?

Il y aura d’abord et avant tout l’autorité. Le peuple qui l’aura élue se verra à la fois couronné et muselé par un discours national censé lui rendre sa fierté. Le reste viendra ensuite et pas du tout. Marine le Pen au pouvoir se réconciliera parfaitement avec le Medef, le système libéral, les puissances d’argent avec lesquelles elle trouvera de nouvelles alliances, probablement dans une autre rhétorique. Elle découvrira de nouveaux «patriotes», aimant la France éternelle, soucieux de participer à la «reconstruction nationale».

Le peuple bien aimé, protégé, aura une belle police régénérée, augmentée, réarmée. Il s’entendra répéter tout ce qu’il entend aujourd’hui, mais il ne faudra pas qu’il soit impatient sur les réformes, ni qu’il réponde, sinon par l’enthousiasme, ni qu’il s’insurge contre les violences, exactions, reconductions aux frontières, charters d’Africains du Nord et du Sud, qui volaient le travail des Français, à qui celui-ci sera rendu. Il sera sommé d’en être content. Il sera décrété content.

Il y a fort à parier, il y aura même pour elle nécessité, que le discours de gauche qui l’aura conduite au pouvoir soit remisé, recyclé, peu à peu oublié. Ce n’est pas, mais pas du tout, au fondement du Rassemblement ou Front national, qui est inchangé, qui tient le même discours que Zemmour. Lui sera certes puni, comme jadis Bruno Mégret, de sa «félonie» – mot trop médiéval, ringard – mais entièrement réabsorbé à travers ses ouailles, qui retrouveront le giron nationaliste, pourront même ressortir leurs symboles, bombers, poings américains, puisqu’ils seront au pouvoir, comme l’Amérique de Trump a naturellement redonné légitimité aux pires figures de la haine antidémocrate, jusqu’à l’attaque du Capitole, apothéose de cette présidence catastrophique, louée et admirée par Marine Le Pen, elle qui a réussi, par dénégation, à faire oublier son Poutinisme – on n’en parle même plus, c’est ringard, c’est passé, on le laisse à Zemmour –, elle n’est même pas contre une immigration ukrainienne (blanche).

Pour tenter de ne pas livrer la France au mensonge et au danger de l’opportuniste Le Pen, je vote, bien sûr, Emmanuel Macron.

J’ai voté Mélenchon au premier tour. J’ai cru à une union possible de la gauche, de la vraie gauche. Celle-ci est là et Macron devra en tenir compte, comme il a naturellement retrouvé les voies de l’Etat providence pendant la pandémie, résumé dans le «quoi qu’il en coûte», dont Marine Le Pen serait incapable dans l’état policier qu’elle prépare.

Le débat de 2017 avait révélé à la France entière l’étendue de son incompétence et de sa désinvolture. Nul doute qu’elle aura progressé pour le débat de la semaine prochaine, parce qu’elle ne peut pas faire pire qu’il y a cinq ans. Mais imaginons-la dans une pandémie, imaginons-la devant la catastrophe climatique, imaginons-la même dans une guerre, imaginons-la face à l’Europe, aux Etats-Unis, face à l’Afrique, à la Chine : qui ne tremble pas devant une telle perspective ?