Bernard Cazeneuve
Chers amis,
Les Français vivent des moments éprouvants, depuis la décision prise par le président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale, exposant notre pays au risque de le voir gouverner par le Rassemblement national.
Chacun a bien à l’esprit que c’est cette perspective, qu’il nous faut à tout prix éviter. Pour tous ceux qui à gauche, sont de fervents républicains, l’alliance nouée par les partis de gouvernement avec le NPA et la France insoumise a pu être vécue comme une blessure. Comment en effet combattre efficacement l’extrême droite, dont la xénophobie et l’antisémitisme procèdent de son histoire, puisant aux sources de la collaboration, si nous ne sommes pas nous-mêmes irréprochables dans la lutte contre l’antisémitisme, le terrorisme et si nous n’affirmons pas notre attachement à la laïcité et notre refus du communautarisme ? Entre l’antisémitisme par nature des uns et l’antisémitisme par cynisme des autres, pourquoi choisir ? Et comment tenir une position digne, sauf en nous tenant à une saine distance de ces deux extrémismes dont on perçoit les dangers qu’ils font courir à notre pays, sur le plan de ses engagements européens, de son combat contre les dictatures, mais aussi du respect des principes de l’État de droit, du multilatéralisme et du droit international ?
Dans la perspective du scrutin de dimanche prochain, nous devons donc voter d’abord pour les candidats de la gauche de gouvernement, pour ceux qui socialistes, communistes, radicaux, écologistes et républicains ont une ligne claire et qui déplorent pour beaucoup, j’en suis convaincu, les alliances conclues à la hâte. Si un tel vote devait ne pas s’avérer possible pour des raisons tenant à la configuration locale, chacun saura choisir, parmi les candidats en lice, ceux dont l’attachement aux valeurs de la République est le plus fort et le refus du RN le plus net.
Au second tour, la discipline républicaine devra permettre d’éviter le pire, aucune voix ne devant jamais se porter sur les candidats du Rassemblement national.
Je comprends que certains d’entre vous ne partagent pas ma position sur le Nouveau Front populaire, sur les craintes que m’inspirent les positions de LFI.
Nous sommes tous, dans ces moments troublés, traversés par des contradictions, des hésitations, des doutes et c’est bien légitime. Pour ma part, j’ai fait le choix de la cohérence, de la constance et de la sincérité. Encore une fois, on ne peut, pour des raisons morales, combattre le racisme, la violence et l’antisémitisme de l’extrême droite, et s’allier dans le même temps à des organisations dont les positions récentes ont témoigné d’un antisémitisme que l’on n’imaginait pas possible à gauche. Par ailleurs, du point de vue de l’efficacité politique, on ne peut gagner face à l’extrême droite en dissuadant les électeurs raisonnables et modérés de porter leurs suffrages sur les candidats de la gauche, s’ils appartiennent à des formations aujourd’hui rejetées. Le nombre de sièges perdus pour ces motifs risque de se compter par dizaines au terme du scrutin, au seul profit du Rassemblement national, dont le NFP était pourtant censé éviter la victoire. Les études d’opinion récemment publiées montrent que ce mouvement funeste est désormais à l’œuvre. Là est donc à mes yeux la vraie question, celle que la lucidité devrait nous conduire à regarder en face.
Voilà ce que je voulais vous dire sincèrement et en conscience. Le chemin est long du retour de l’espérance, qui appellera du courage et du caractère. Pour ma part, je dirai toujours ce que je crois juste, sans autre préoccupation que celle de notre pays et des valeurs que nous avons en partage. Il est des moments dans la vie d’un pays où il faut ne pas avoir peur de ses convictions, les défendre sans calculs et prendre son risque.
Bien fidèlement.
Bernard CAZENEUVE