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17 novembre 1920 : à méditer

  L'HUMANITE du 17 novembre 1920 ! Quelle actualité 100 ans après !

Avant le Congrès

Deux motions - par Jean Longuet

La résolution du Comité de la IIIe

 

Je ne veux pour le moment examiner et confronter que les deux motions du « Comité de la IIIe Internationale » et du « Comité de la Reconstruction », puisqu'aussi bien c'est surtout entre elles que se prononceront la plupart des sections et des fédérations - quels que soient les mérites incontestables des deux autres « déclarations de principes » rédigées par Pressemane d'une part, par Léon Blum, Bracke et Mayéras de l'autre.

Examinons aujourd'hui la motion du Comité de la IIIe Internationale et des dissidents de la « Reconstruction ». Elle est rédigée avec habilité - avec trop d'habilité même pour être aussi franche et loyale qu'on l'a prétendu. Elle noie sous un fatras formidable de considérations théoriques - sur lesquelles tous les socialistes sont dans une large mesure d'accord - des innovations dangereuses dans la tactique et l'organisation socialistes, un bouleversement total de notre Parti et évite de se prononcer sur les questions les plus graves.

La conception de la dictature du prolétariat, envisagée sous une forme personnelle - qui est l'opposé de la conception marxiste - prolongée de telle sorte qu'elle devrait durer autant que l'État prolétarien lui-même, nécessite de très fortes réserves. Comme aussi bien sa façon de concevoir l'action parlementaire. Celle-ci est étrangement étriquée et puérile. Elle ignore toute l'œuvre de la législation ouvrière et sociale en régime capitaliste, nie la possibilité de tout travail organique, et ramène à un rôle purement démonstratif l'activité des élus socialistes au Parlement.

Nous concevons assez bien cette forme d'action pour un petit groupe de trois, quatre ou cinq députés - tel, par exemple, le groupe communiste au Reichstag, jusqu'ici comptant seulement 2 élus : Clara Zetkin et le Dr Lévy. Nous voyons mal un groupe parlementaire de 70, 80, 100 ou 150 élus se refusant à tout travail législatif concret et se condamnant à pareille stérilité.

En tout cas, cette conception ne se justifierait que si le Parti se refusait dorénavant à reconnaître et à défendre les intérêts matériels immédiats du prolétariat. Or, les auteurs de la motion, eux-mêmes, proclament quelques lignes plus bas que les syndicats ont pour but de défendre ces intérêts « matériels immédiats ». Ne veulent-ils donc les défendre que sur le terrain économique et pas sur le terrain politique ? Rien ne serait plus absurde. Bien plus grave encore est la méthode ambiguë, le procédé oblique et quelque peu hypocrite par lequel on a évité de dire sur les fameuses conditions les paroles claires qu'on était en droit d'attendre - en particulier de ceux des signataires de la motion, qui ont été à travers la France répéter que la plus grande partie des conditions étaient inacceptables et seraient écartées.

Ces mêmes camarades les proclament dans leur texte « légitimes et indispensables… » (!). Il est vrai que leur motion ajoute dans une phrase qui est un monument de diplomatie tortueuse « … pour éviter l'affiliation d'éléments non communistes ». Vous voyez, avec cette rédaction très… habile, on peut dire au très farouche néophyte, à l'intransigeant « socialiste de novembre 1918 » (comme disent nos camarades d'outre-Rhin) : « Vous voyez : on accepte tout, on ratifie même les conditions les plus extravagantes ! » Au militant sincère et réfléchi, qui a quelques dix, qinze ou vingt années d'expérience et quelque culture socialiste, on déclare : « Les conditions, mais nous ne les déclarons légitimes et indispensables qu'à titre d'épouvantails, pour éloigner les oiseaux de mauvais augure qu'attirerait l'éclatante lumière de notre phare communiste ».

Il eût été plus loyal, plus honnête, de dire franchement ce qu'on pensait des diverses conditions, et notamment des fameux groupements clandestins chargés de dicter leur action aux sections, aux fédération, au Parti de lui-même, des groupes secrets et illégaux dans les casernes, du système d'épuration et d'exclusion à jet continue dans les sections, etc.

Je sais que pour calmer l'énorme résistance qu'on sent, même dans les milieux les plus « extrémistes », en présence de ce « parfait manuel du divisionnisme » que sont les 21 conditions, on déclare vouloir bien tolérer dans le Parti ceux que Moscou qualifie de « centristes » (et qui devraient comprendre pratiquement les neuf dixièmes des socialistes français).

En vérité, nos pseudo-dictateurs se figurent-ils que des militants qui, depuis vingt, vingt-cinq ou trente ans, ont donné toutes leurs forces au Parti, qui ont usé leur santé et sacrifié tous leurs intérêts au service du Socialisme, sont prêts à accepter de recevoir cette espèce de grâce humiliante - de la main de camarades auxquels ils ne reconnaissent aucun titre pour s'ériger en juges et en pontifes omnipotents et omniscients ? Et j'ajouterai : dont beaucoup, pour leur attitude pendant la guerre, par exemple, auraient, au contraire, plutôt besoin de solliciter notre indulgence que de nous offrir la leur.

Mais plus graves encore sont les mesures proposées en ce qui concerne notre organisation. Elles ne visent à rien moins qu'à détruire les fondements mêmes de notre Parti, elles constituent à proprement parler la tentative de meurtre sur notre unité.

Le système actuel est certes imparfait et nécessite des retouches. Tout de même, il a permis au Parti de vivre, de se développer d'une manière ininterrompue ; il s'inspire de la nécessité de laisser un minimum indispensable de liberté de pensée et d'action à nos adhérents. Il permet la libre confrontation des diverses thèses et tactiques socialistes. À sa place, on veut instituer des règles « militantaristes » ou monacales, une discipline de caserne ou de couvent. Ainsi que l'observe l'ami Nicod, ce sont les règles de la Société de Jésus, telles qu'elles furent imaginées par Ignace de Loyola, qu'on propose au Parti socialiste.

La suppression de la R.P., cette grande et bienfaisante institution qui a sauvé notre unité pendant la guerre et que maintes fois j'ai entendu des camarades du Labour Party anglais nous envier, la transformation de la C.A.P. en une espèce de conseil dictatorial, comprenant uniquement des représentants de la majorité.

L'institution d'une sorte de tribunal des Dix chargé d'exécuter sommairement les membres du Parti récalcitrants sans qu'ils puissent même interjeter, auprès du Congrès du Parti, un appel suspensif, la suppression de toute liberté de discussion dans notre presse.

Autant de mesures insensées et mortelles pour le socialisme.

Jean Longuet.

 

 

 

Parti socialiste (S.F.I.O.)