Ces lignes sont tirées d' un interview de Stéphane Le Foll dans le journal Le Point
Stéphane Le Foll a publié il y a quelques semaines un livre intitulé Renouer avec la France des Lumières (Calmann-Lévy). Le moins que l'on puisse dire, c'est que la gauche s'enfonce toujours plus dans l'obscurité. Réunie, elle n'atteint pas 25 % des intentions de vote dans les derniers sondages. Dernier rebondissement en date : l'ancienne ministre de la Justice Christiane Taubira a proposé sa candidature. Pour Stéphane Le Foll, le problème de la gauche n'est pas stratégique, mais idéologique. L'ancien ministre de l'Agriculture, qui accueille ce samedi dans sa ville du Mans le Premier ministre Jean Castex, préconise une opération de désherbage pour chasser les herbes folles et appelle de ses vœux une grande moisson d'idées. Selon lui, la gauche fait fausse route en emboîtant le pas des mouvements wokistes et décroissants. Le Foll veut replacer le progrès et la raison au cœur du projet socialiste. Sera-t-il pris pour un fou ?
Le Point : La gauche est-elle devenue folle ?
Stéphane Le Foll : La gauche est perdue, elle se cherche une cohérence. Elle est prête à toutes les aventures comme celle d'une primaire improvisée au dernier moment. Son problème n'est pas stratégique, mais idéologique. On n'a pas travaillé sur le fond. C'est particulièrement vrai au Parti socialiste. On ne sait plus ce qui le distingue des autres formations politiques ni ce qu'il porte comme projet.
Vous avez tiré un trait sur 2022 ?
Rien n'est jamais perdu en politique. Mais dans l'état actuel des forces, la gauche, qui représente 25 % des intentions de vote, est en grande difficulté. Ce n'est pas le nombre de candidats qui est en cause. Elle en a compté autant, voire davantage, lors de précédentes élections. C'est l'offre qu'elle propose qui ne correspond plus aux souhaits majoritaires des Français.
Anne Hidalgo est très basse dans les sondages. Faut-il changer de candidate ? Christiane Taubira envisage de se présenter?
La question est symptomatique du malaise de la gauche qui est arrivée à la fin d'un cycle. Faut-il changer de candidate ? Tout cela, c'est de l'improvisation. La question devrait être sur le projet pour la France. À la fin de ce processus électoral, Anne Hidalgo, Olivier Faure et Christiane Taubira devront assumer leur responsabilité devant les Français.
Pour qui voterez-vous au premier tour ?
Je voterai socialiste.
On a le sentiment que la gauche a abandonné l'idée de progrès?
La gauche est bloquée entre deux discours qui tournent le dos au progrès : le mélenchonisme célébrant la planification et l'étatisme, et l'écologie politique vantant la sobriété et la décroissance. La gauche doit choisir le progrès plutôt que le malthusianisme et le déclinisme.
La décroissance est incompatible avec les classes insécurisées.
Vous n'êtes pas décroissant ?
Non. La gauche dans l'histoire a porté les valeurs de la science, de la raison, même si elle a toujours été comptable des émotions qu'il y a chez chaque individu. À force de s'en éloigner, on prend de grands risques. C'est bien cette question qui m'inquiète dans le débat public. Socialement, la décroissance est incompatible avec les classes insécurisées qui sont déjà au quotidien dans la sobriété subie.
Ce serait quoi le socialisme à la sauce Le Foll ?
J'ai trois convictions fortes. La première : le progrès doit rester un élément structurant de la réflexion des socialistes. La deuxième : chaque Français doit savoir qu'il peut être reconnu et qu'il peut être un acteur de la réussite de son propre destin. La troisième : dans une époque qui se radicalise, il faut chercher les compromis nécessaires au nom de l'intérêt général.
Vous relanceriez le nucléaire ?
Le mixte énergétique, c'est François Hollande qui l'a fixé. J'étais son directeur de campagne. On venait de vivre la tragédie de Fukushima. On a dit : on va faire le même chemin que l'Allemagne, en réduisant de 25 % la part du nucléaire. Bien sûr qu'il faut fermer Fessenheim afin de créer une filière de démantèlement, car il faut se préparer à fermer des centrales. Il faut évidemment achever Flamanville. Cela dit, le président Macron s'emballe un peu. Nous avons cinq ans pour décider de l'avenir des EPR. La priorité, c'est le développement des énergies renouvelables et les sauts technologiques à réaliser.
L'immigration occupe l'essentiel des débats de la présidentielle. Pourquoi n'arrive-t-on toujours pas à discuter rationnellement de ce sujet ? Reconnaissez-vous une part de responsabilité au Parti socialiste dans cet état de fait ? N'a-t-on pas trop « moralisé » cette question ?
Le pape François l'a rappelé à Lesbos : l'immigration, ce sont des hommes et des femmes. Rappeler l'humanité des migrants, c'est le rôle de la gauche. Toutefois, comme l'a dit Michel Rocard, la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. À un moment donné, il faut oser dire, oui, il faut maîtriser l'immigration. Mais cette réponse est incomplète si on ne se pose pas la question d'une grande politique de coopération et de développement des pays d'immigration.
La plupart des candidats à la présidentielle vivent en région parisienne. Certains y voient un reflet du fossé qui se creuse entre Paris et le reste de la France. Qu'en pense le maire du Mans ?
La question est de savoir si ces candidats connaissent bien la France et ses cultures. Je n'en suis pas certain. Nous avons besoin d'un acte 3 de la décentralisation. Il ne s'agit pas d'affaiblir l'État, mais de renforcer la France. Les enjeux de l'Île-de-France ne sont pas les mêmes que ceux des autres régions. Le mode de gouvernement doit accorder une plus grande place aux acteurs locaux. C'est pourquoi le Sénat doit être une véritable assemblée des territoires.
Quel est votre rêve le plus fou ?
Que la France continue de rêver.
Cet interview est aussi l'écho de ce qui se passe localement
Changeons pour continuer de rêver


