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Refonder la social -démocratie" manifeste pour une gauche sociale,républicaine,humaniste et écologique"

 

INFO JDD. « Refonder » la social-démocratie et lancer une dynamique collective et politique. Voilà la feuille de route de l’ancien Premier ministre tel qu’il l’expose dans son « Manifeste pour une gauche sociale-démocrate, républicaine, humaniste et écologique » accompagné par près de 400 signataires. Une initiative qui se veut le point de départ d’une reconquête.

 
Bernard Cazeneuve à Paris, en février.
Bernard Cazeneuve à Paris, en février. ( JEANNE ACCORSINI/SIPA)
 

Bernard Cazeneuve n’est pas un homme à disperser ses mots. Et encore moins à multiplier les interventions. Après un long silence, l’ancien Premier ministre sort de sa réserve. Celui qui n’est plus membre du Parti socialiste lancera dimanche un « Manifeste pour une gauche sociale-démocrate, républicaine, humaniste et écologique » accompagné par près de 400 signataires. « Dans la tempête et face au danger la faute funeste consiste à laisser tomber sa boussole », alertent les auteurs dans un message clair au reste de la gauche.

 

Parmi les signataires, on trouve une nouvelle génération que Cazeneuve entend accompagner ainsi qu’une cinquantaine de maires et quelques poids lourds socialistes comme Stéphane Le Foll (maire du Mans), Jean-Christophe Cambadélis (ancien premier secrétaire du Parti socialiste), Carole Delga (présidente de la région Occitanie), Loïg Chesnais-Girard, (président de la région Bretagne) ou encore Nicolas Mayer-Rosignol (maire de Rouen). D’anciens ministres de François Hollande et quelques personnalités comme le journaliste Laurent Joffrin ou l’ancien directeur général de l’OMC Pascal Lamy ont aussi rejoint cette démarche.

 

Alors que le courant de pensée social-démocrate est régulièrement décrit comme moribond, Bernard Cazeneuve et ses amis entendent lui donner une nouvelle vie, estimant que le PS actuel piétine cet héritage dans une alliance contre nature avec Jean-Luc Mélenchon.  « On aurait tort de se satisfaire des postures grandiloquentes de l’insoumission, en acceptant le mariage de l’inconséquence et de la violence, dans un nihilisme où la colère empêcherait l’avènement de l’espérance, mitraillent les signataires. (…) La gauche à laquelle nous croyons est pétrie de l’esprit de nuance »

 

Cazeneuve se dit déterminé à mener le combat

Dès lors, il faut lire ce « manifeste » comme un début, comme « un appel à la refondation et donc à la constitution d’une dynamique collective ». Avec ce texte d’une dizaine de pages Cazeneuve et ses compagnons de route présentent leur carte d’identité politique qui est aussi un passeport pour un ailleurs qu’il reste à construire. Cela tombe bien. Cazeneuve, que certains socialistes auraient aimé voir candidat à la dernière présidentielle, ne compte pas en rester aux mots et se dit déterminé à mener le combat.

Face à cette situation, « il nous revient donc à nous, républicains de gauche et d’où̀ que nous venions, de nous organiser pour rassembler nos forces et conjuguer nos efforts afin de redonner aux Français l’espérance à laquelle ils ont droit ». Et d’indiquer « le mandat des militants de l’espérance : démontrer jour après jour qu’une autre gauche est possible, qui rompe avec l’outrance et le sectarisme ».  

 
 

Cet engagement résolu de Cazeneuve part d’un constat noir. « Il est fort probable que la communication débridée d’une majorité dévitalisée, sans boussole ni projet, et que les postures théâtrales des oppositions radicalisées ne suffiront pas à répondre à l’épuisement démocratique, qui prive la République de sa force vitale », lit-on dans ce manifeste.

Sans que ce manifeste ne soit un programme, les signataires déclinent quelques grands axes de cette refondation : « refaire nation », « rétablir la possibilité de l’ascension sociale », « renforcer l’intervention de la puissance publique », ou s’arrimer à une Union Européenne qui « demeure pour nous la grande espérance pour notre pays ». Quelques pistes plus concrètes sont avancées : « lutte contre les déserts médicaux grâce à une politique d’incitation véritablement attractive », « modernisation du parc nucléaire » et éloge de cette source d’énergie, « relance de la construction de logements sociaux », réévaluation des retraites les plus basses, « nouvelle étape dans la centralisation »

Ce manifeste initié par Cazeneuve le propulse-t-il pour les années à venir en leader de cette « autre gauche » social-démocrate ? Il est sans doute un peu tôt pour l’affirmer. « Beaucoup de gens ont envie de le reconnaître comme un leader. Maintenant il lui appartient de montrer qu’il l’est. Il faut qu’il y aille ».

Voici son manifeste : « Au sortir des scrutins présidentiel et législatif, les Français ont le sentiment d’un paysage politique dévasté. Certes, une majorité d’entre eux, voulant surtout faire obstacle à l’extrême droite, a donné un nouveau mandat au Président de la République, mais sans pour autant le faire bénéficier, dans la foulée, d’une majorité nette à l’Assemblée nationale, qui lui aurait permis de gouverner sans heurt. Dans un contexte international, européen et français qui appelle des décisions urgentes et courageuses, cette fragilité du pouvoir expose notre pays à un risque sérieux de fracturation et de déclassement. Si on est avant tout préoccupé de l’intérêt de la Nation et de ceux qui, en son sein, sont les plus exposés aux crises climatique, économique ou sanitaire, il faut avoir la lucidité de poser ce constat. Circonstance aggravante, aucune des oppositions n’a reçu la faveur de nos concitoyens comme si, dans la gravité du moment, l’absence d’esprit de responsabilité qui semble présider aux choix de chacune d’elles, contribuait à les disqualifier toutes. Ainsi, ni la majorité relative anémiée ni les oppositions majoritairement animées par la radicalité ne semblent pouvoir répondre aux attentes de nos compatriotes.

L’abstention massive des Français témoigne également de la perte de confiance dans les institutions de la République, mais aussi dans les forces politiques constituées, dont les citoyens doutent désormais qu’elles seront capables de se mettre au service du bien collectif. Il est fort probable que la communication débridée d’une majorité dévitalisée, sans boussole ni projet, et que les postures théâtrales des oppositions radicalisées ne suffiront pas à répondre à l’épuisement démocratique, qui prive la République de sa force vitale.

Alors que notre système politique et institutionnel voit sa légitimité contestée et son efficacité amoindrie, les Français aspirent à un gouvernement qui puisse agir de nouveau en les respectant, c’est-à-dire en s’adressant à leur intelligence collective. C’est dans ce contraste entre la situation politique et les aspirations profondes des Français que réside le risque d’un grave court-circuit démocratique : le blocage potentiel des institutions, la montée de la violence dans l’espace du débat public, l’effacement de la notion de respect, la volonté de certains de susciter, à chaque instant, la contestation de tout, en poussant la foule à s’emparer de la rue, offrent de sombres perspectives à notre pays.

Il est fort probable que la communication débridée d’une majorité dévitalisée, sans boussole ni projet, et que les postures théâtrales des oppositions radicalisées ne suffiront pas à répondre à l’épuisement démocratique

Le mal est profond. Le divorce entre le peuple et les responsables politiques est consommé. Les Français sont de plus en plus nombreux à ne pas se sentir écoutés et - bien plus grave - respectés. Le ressentiment le dispute au fatalisme, à l’insécurité culturelle s’ajoute une précarité existentielle débouchant sur le sentiment de vivre dans une société à durée déterminée. L’insécurité au quotidien, couplée à l’incertitude du lendemain, attise l’incompréhension mais aussi la colère. Pourtant, comme une lueur d’espérance, l’aspiration à la justice, à la concorde et au progrès est toujours aussi présente. Les énergies sont partout et l’envie de servir demeure infinie. Comme souvent face aux grandes épreuves, la France n’a pas perdu foi en elle-même.

Au fond, ce nouveau paysage politique souligne aussi le vide laissé par la sociale-démocratie et les humanistes de gauche. C’est ainsi qu’il faut lire ce texte, qui n’est autre qu’un appel à la refondation et donc à la constitution d’une dynamique collective. Un progrès qui protège, une République revivifiée, un État profondément restauré et un humanisme véritablement écologique : voici ce qui manque aux débats, voilà le cœur d’un nouveau mandat pour l’action. Il nous revient donc à nous, républicains de gauche et d’où que nous venions, de nous organiser pour rassembler nos forces et conjuguer nos efforts afin de redonner aux Français l’espérance à laquelle ils ont droit.

Voilà le mandat des militants de l’espérance : démontrer jour après jour qu’une autre gauche est possible, qui rompe avec l’outrance et le sectarisme, mais qui demeure ardente dans le refus des inégalités, des injustices et des discriminations, dans la défense des valeurs de la République et dans sa détermination à réussir le grand combat pour le climat, dont la jeunesse du monde entier porte avec audace le flambeau.

Nous organiser pour rassembler nos forces et conjuguer nos efforts afin de redonner aux Français l’espérance à laquelle ils ont droit.

Un risque de dislocation de la société française

Les Français aspirent à un profond changement. Ils demandent à être convaincus que le progrès est encore une promesse possible pour eux-mêmes et leurs enfants. Certains aspirent au souffle des grandes espérances, qui a parfois permis dans l’Histoire d’enjamber un monde pour en faire jaillir un autre, qui soit plus juste et moins violent. Beaucoup s’inquiètent du climat de tensions extrêmes dans lequel la Nation se trouve plongée. À l’occasion de l’élection présidentielle, le sentiment a dominé que la faiblesse de l’offre politique imposait au pays un choix par défaut. Ce que l’on a appelé le vote utile s’est traduit, pour bien des citoyens, par la résignation au moindre mal, dans un contexte où aucune force ne parvenait plus à apaiser le peuple, encore moins à l’unir.

Le délitement du débat public et du pacte civique résulte de l’affaissement des institutions, de l’abaissement des comportements dans la violence verbale et numérique, au point qu’il ne demeure presque plus rien de l’esprit républicain qui fit l’unité et l’indivisibilité de la Nation. Le passage au quinquennat a privé, mécaniquement, le chef de l’État du temps nécessaire à l’affirmation de son pouvoir d’arbitrage ; l’élection des députés dans la foulée a abouti à une désincarnation du Parlement assujetti à une technostructure froide, déconnectée et à l’exercice isolé du pouvoir présidentiel. L’accoutumance à la violence et à la transgression a convaincu chacun qu’il peut tout dire, tout faire et tout oser, pour atteindre ses buts. Les partis ont peu à peu cessé de jouer leur rôle d’enceinte de délibération où s’élaborent les propositions et les projets, pour se transformer en écuries d’ambitieux qu’anime la tactique plutôt que le bien commun. Les artifices de communication et les mises en scène théâtrales, auxquelles bien des responsables politiques se livrent pour dissimuler leur impuissance ou leur absence d’imagination réduisent la politique à un art de la séduction, éventuellement de la disruption, sans place pour le courage et les convictions. De ce jeu dont ils jugent sévèrement les acteurs, les Français ne sont pas dupes. Ils s’abstiennent de plus en plus ou choisissent le bulletin blanc afin de n’apporter à ce triste spectacle ni leur concours ni leurs voix. Il y a désormais un blocage, un refus d’obstacle, la démocratie représentative est en danger.

L’accoutumance à la violence et à la transgression a convaincu chacun qu’il peut tout dire, tout faire et tout oser, pour atteindre ses buts. 

La société française fait face à un risque de dislocation. Pour prévenir cette désagrégation, quatre défis appellent des solutions urgentes : celle de la lutte contre les inégalités, à l’heure où les injustices accroissent les risques de fracturation de la société française ; celle du défi écologique et climatique, qui relève désormais d’une course effrénée contre la montre ; celle du nécessaire ré-ancrage républicain de la Nation, alors que des forces extrémistes, identitaires et violentes, assument de plus en plus ouvertement leur rupture avec l’universalisme, dont les républicains sont les héritiers ; celle de la réparation de l’État, abîmé et fragilisé par de funestes réformes, la réduction inconsidérée de ses moyens, comme de sa capacité d’agir, notamment pour protéger les Français et la banalisation de son statut.

À gauche, l’aspiration au « rassemblement » est indissociable de l’espérance. Mais l’union est une discipline, qui revêt une part d’exigence morale et suppose la fidélité à des convictions, à des valeurs et à un héritage. C’est pourquoi la gauche de gouvernement, dans le temps long de son histoire, a toujours accepté de se confronter à la réalité, en faisant de l’éthique de la responsabilité l’instrument de sa crédibilité. Renoncer à cette identité reviendrait pour elle à se perdre, en laissant le champ libre à l’alliance de la droite extrême et à l’extrême droite. Dans la tempête et face au danger la faute funeste consiste à laisser tomber sa boussole.

La gauche de transformation, du fait de sa tradition pluraliste, est en outre la seule en capacité de réunir les différentes aspirations au progrès social, économique, environnemental, démocratique, sans transiger avec les valeurs de la République, le respect de l’État de droit et l’ambition d’une Europe plus forte et plus solidaire. La reconstruction d’une véritable perspective sociale-démocrate est urgente, si nous voulons pour nos enfants une société plus juste et plus écologique.

Refaire Nation

En nous attaquant aux inégalités, nous affirmons notre détermination à refaire Nation, en offrant à tous la perspective d’une vie digne et en protégeant le plus grand nombre du risque de déclassement. La société française, plus que jamais fragmentée et polarisée, hystérisée par les postures de confrontation entretenues en son sein ne se pense plus comme le creuset d’aspirations communes, mais comme la juxtaposition de groupes sociaux se représentant en communautés recroquevillées et hostiles les unes à l’égard des autres, où la revendication individuelle domine, au détriment des ambitions collectives et des préoccupations d’intérêt général. Face à la relégation vécue ou redoutée qu’éprouvent intimement nos concitoyens dans bien des territoires - et qui se fait plus vive à mesure que l’on s’éloigne des centres urbains denses et connectés – les services publics sont à juste titre perçus comme l’instrument d’une possible solidarité, comme le levier de l’égalité réelle.

La gauche de transformation, du fait de sa tradition pluraliste, est en outre la seule en capacité de réunir les différentes aspirations au progrès social, économique, environnemental, démocratique, sans transiger avec les valeurs de la République

Les crises les plus récentes, par leur effet de souffle – le mouvement des gilets jaunes qui notamment a mis en lumière les fractures profondes au sein de la société française –, ont souvent conduit les gouvernants à privilégier la gestion politique immédiate, destinée à éteindre l’incendie, au détriment de la compréhension en profondeur des colères dont ils n’avaient que rarement anticipé l’avènement. Alors que les récentes poussées de fièvre ont, partout en France, résulté en grande partie d’un sentiment d’oubli des villes moyennes, des communes rurales reculées et des Outre-mer, une réponse plus ample, alliant le renforcement de la présence de l’État et des services publics et le retour à une ambitieuse politique de développement du territoire, aurait sans doute été plus efficace.

La question de la qualité et de la répartition des services publics sur le territoire national, face aux besoins affirmés de protection des Français, est devenue le critère à partir duquel s’opère ou non le consentement à l’impôt, ainsi que la capacité des citoyens à adhérer aux réformes qui leur sont proposées. Il en est ainsi des décisions visant à promouvoir les grandes politiques publiques de lutte contre le réchauffement climatique. Le renoncement à l’automobile dans les métropoles comme dans les campagnes n’est envisageable que si les transports sont non seulement accessibles, mais offrent un niveau de régularité, de sécurité et de confort conforme aux attentes des salariés modestes, des jeunes en formation, au travail ou en recherche d’emploi, encore très dépendants de la voiture pour leur activité et leur vie quotidienne.

Rétablir la possibilité de l’ascension sociale et garantir des conditions égales de dignité

S’engager pour la justice, c’est d’abord s’engager résolument dans le combat pour les droits des femmes et pour l’éradication des violences dont elles sont les victimes. Le féminisme est indissociable du combat pour le progrès. La belle idée théorisée par Gisèle Halimi en 2008, « la clause de l’Européenne la plus favorisée », doit enfin se concrétiser. Dans tous les domaines de la vie en société, nous devons prendre comme référence les pays européens où les législations sont les plus progressistes sans se laisser intimider par les lobbies conservateurs, aussi puissants soient-ils.

Pour plus de justice, il nous faut renouveler les conditions d’adhésion au contrat social en rétablissant la possibilité de l’ascension sociale et en garantissant des conditions égales de dignité. Cela suppose notamment de mieux prendre en compte les difficultés de nos concitoyens en situation de handicap : revalorisation des aides, valorisation du rôle des aidants familiaux, meilleur accès aux services publics et donc aussi à l’école. En effet, la dignité de notre société se mesure à sa capacité à réduire les inégalités notables et inacceptables qui subsistent en son sein. La société, lorsqu’elle se fige, consacre toujours les héritiers et n’assure plus la promesse républicaine d’un avenir meilleur pour les générations nouvelles et les plus vulnérables.

Porter le projet d’un progrès qui protège c’est aussi combattre fermement les inégalités en matière de santé. Trop souvent encore, nos concitoyens en situation de précarité ne bénéficient pas d’une garantie d’accès aux soins. Améliorer leurs conditions de vie et assurer leur dignité passe donc par le déploiement de politiques publiques plus volontaristes, notamment par le renforcement de la médecine préventive dont on sait qu’elle est encore plus indispensable pour les plus précaires et les plus isolés. Au-delà, la consolidation de l’hôpital comme pilier des politiques publiques d’accès à la santé de tous les Français doit redevenir l’une des priorités de l’action de l’État, en revalorisant les métiers, en soulageant les urgences et en luttant contre les déserts médicaux grâce à une politique d’incitation véritablement attractive.

 La société, lorsqu’elle se fige, consacre toujours les héritiers et n’assure plus la promesse républicaine d’un avenir meilleur pour les générations nouvelles et les plus vulnérables.

Pour que le futur ne soit pas une fatalité, notre système éducatif doit être repensé comme la pierre angulaire d’une société renouant avec la bienveillance, le respect et la confiance dans la science, le progrès, les savoirs. Cela suppose la revalorisation des salaires des professeurs, qui doit manifester toute l’estime dans laquelle la société les tient mais aussi leur recrutement en nombre suffisant – au même titre d’ailleurs que pour les soignants, les « gardiens de la paix », ou les personnels de justice. La centralité de l’école dans les projets et les budgets, c’est aussi celle de la laïcité. La séparation des églises et de l’État est un principe de liberté – celle de croire ou de ne pas croire – et de concorde – la foi des uns ne fait pas la loi des autres, encore moins celle de tous. Face aux séparatismes religieux ou ethniques, au différentialisme et aux relativismes culturels, face à l’affirmation d’un islam politique qui hait l’universalisme français et soumet nos compatriotes de confession musulmane au joug d’une radicalité religieuse – alors même que ces derniers aspirent à vivre en paix dans la communauté nationale – la laïcité est ce trésor commun qu’il nous faut défendre sans relâche. Vouloir encore et toujours la République laïque c’est désirer ardemment l’égalité et le respect de l’autre, dans sa singularité, en raison du creuset de valeurs que nous avons en partage et qui nous permet de transcender nos différences. Les inégalités de destin s’inscrivent aussi dans les difficultés d’accès au logement. Les communes qui dérogent au principe même de la mixité sociale, malgré les pénalités financières, doivent être conduites à relancer la construction de logements sociaux. Les logements existants doivent être remis aux normes en alliant l’objectif d’une amélioration de la qualité de la vie à celui de la transition écologique. Enfin, vecteur d’insertion et de stabilité, l’accès au logement pour les familles monoparentales et les ménages sans domicile doit constituer une priorité. Le sans-abrisme n’est pas une fatalité, pas plus que l’attente prolongée de milliers de familles et d’enfants dans les hôtels sociaux. C’est par une politique ambitieuse et exigeante en matière de logement que les Français les plus en difficulté pourront recommencer à adhérer au contrat social et républicain.

Il est aujourd’hui encore du devoir des sociaux-démocrates de rappeler que les victimes des inégalités, les citoyens relégués par les effets de l’injustice de la naissance ou de l’existence, n’ont pas à être privés de la possibilité d’une redistribution équitable des fruits de leur travail. Notre politique ne peut plus seulement être celle de l’emploi mais bien celle du travail qui doit être repensée à l’aune de la transition écologique avec les travailleurs, les syndicats et le patronat. S’il faut rompre avec le toujours-plus, la simple affirmation de ce mantra ne trace aucune piste et dissimule la complexité des réformes à venir.

L’un des enjeux du monde du travail est de fournir des emplois de qualité, assurant non seulement un plus grand bien-être des salariés, mais aussi des progrès en matière de productivité et d’efficacité globale. L’ensemble des secteurs professionnels devront se faire plus sobres sans pour autant renoncer à l’ingéniosité française. Les progrès du travail et des technologies, en un mot du génie mécanique à l'œuvre dans toutes les réalisations humaines, sont un fait : il sera le moteur des solutions de demain, dans les secteurs qui demandent beaucoup de main-d'œuvre comme dans ceux qui en mobilisent moins. Pour que le progrès soit réel, il faut qu’il soit complet. Cela suppose qu’il soit maîtrisé, qu’il s’appuie sur les formidables potentialités du génie humain mais qu’il reste sans cesse guidé par les principes éthiques. Car le progrès n’est digne de sa promesse que s’il sert à lutter contre les injustices et les inégalités. Nécessairement technique, il doit être impérativement mis au service du quotidien des employés, augmentant la qualité de leur travail. Ainsi, le progrès pourra s’incarner dans l’efficacité de nouvelles méthodes qui assurent la protection des salariés, et non le sacrifice de la qualité de leur vie au travail ou de leur sécurité. Cette exigence est d’autant plus indispensable à l’âge de l’individualisation des métiers et de la numérisation des organisations. Cette mutation ne peut se faire que si le travail paie, que si la dignité des Français résulte aussi de leur labeur. Dans cette place reconnue donnée au travail, la plus grande intégration des syndicats et de leurs représentants à la vie de l’entreprise sera essentielle autant que fondatrice. Elle permettra un meilleur partage de l’information, une plus grande représentation des salariés dans les instances de décisions et de rémunérations, une redistribution plus juste de la valeur produite. C’est l’entreprise tout entière qui doit redevenir un espace de discussions et de compromis et non le lieu de toutes les confrontations et dominations, car elle est une communauté humaine essentielle pour relever les défis collectifs et favoriser un accomplissement individuel.

De progrès, la réforme des retraites doit l’être impérativement. Celle qui consisterait à repousser toujours plus loin l’âge de départ serait injuste et inefficace, en perpétuant l’idée que toute réforme est destinée à imposer d’abord des reculs de notre système de protection sociale, en niant les différences d’espérance de vie entre les Français, la pénibilité de certains métiers et en négligeant l’enjeu essentiel de l’emploi des seniors. Une telle approche n’aurait pour résultat que de dégager des marges budgétaires dans le cadre d’une politique sans vision ni projet à long terme. De surcroît, aucune modernisation du système visant à sauvegarder le principe solidaire de la répartition se sera possible sans que soient prises en compte la pénibilité du travail et la possibilité de partir en retraite de manière anticipée – en particulier dans le cas des carrières longues. La question du niveau des retraites les plus basses reste centrale : elles devront être réévaluées.

Face au changement climatique, l’immobilisme est criminel

Il appartient aussi aux sociaux-démocrates de ne jamais rendre incompatibles, par dogmatisme, la réduction des inégalités et l’ambition écologique. Cette politique sans nuance aboutirait au risque de voir les élites divorcer définitivement des classes populaires et d’une part croissante des classes moyennes, sans le concours desquelles les objectifs climatiques échoueraient à trouver leurs débouchés démocratiques. Le mouvement des ronds-points, à l’automne 2018, a témoigné de l’ampleur de ce dilemme et de l’impasse que représente, pour les gouvernements, la mise en opposition du sauvetage de la planète et du besoin de protection des populations les plus fragiles. Il est donc du devoir des nations de faire converger les objectifs de politiques publiques, définis dans le cadre des conférences pour le climat, au sein d’un agenda international crédible qui rende le marché et la justice sociale possibles, en privilégiant les filières d’excellence de la grande mutation écologique.

Face au changement climatique, l’immobilisme est criminel. Les conclusions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dans son dernier rapport, sont sans appel, qui pointent notre responsabilité collective dans le réchauffement global de l’atmosphère, des océans et des continents. Le lien entre les émissions de CO2, résultant des activités humaines, les dérèglements climatiques, les manifestations météorologiques extrêmes impactant les territoires où nous vivons, donnent une dimension d’urgence au défi climatique. Le moment d’agir ne peut plus être différé. L’urgence environnementale, celle qui concerne le climat et la biodiversité, la qualité de l’air et l’accès à l’eau, est une urgence vitale. Elle est devenue existentielle au sens où de son issue dépend, à très brève échéance, la possibilité même de la vie. Le bouleversement climatique est en effet sans précédent. Il s’accélère comme un processus désormais hors de contrôle, face auquel il faudrait une volonté unanime des États et des organisations internationales pour retrouver la maîtrise de notre destin. La hausse du niveau des mers, la fonte des calottes glaciaires et le réchauffement climatique qui s’accélèrent constituent un point de basculement dont les conséquences, à court terme, pourraient se révéler à la fois irréversibles et imprévisibles. S’il est encore possible de limiter la hausse des températures à l’horizon 2050, l’effort pour y parvenir sera tel qu’il ne s’accomplira pas en faisant l’économie d’une stratégie concertée des nations, elles-mêmes armées d’un surcroît de détermination ou de volonté.

à suivre