Actualités

Une nouvelle page se tourne (suite)

Dans l'Allier c'est également une nouvelle page qui se tourne. A quelques mois du congrès prévu pour la refondation du PS, profitant de ses vœux aux militants Nicolas Brien jeune Secrétaire fédéral a annoncé son retrait de l'action politique. Dans une communication faite à Montluçon le 20 janvier 2018, il explique comment Il a vécu et plutôt mal vécu cette dernière période de désaveu des électeurs. A cela s'est ajoutée localement la difficile gestion d'un conflit avec l'ancien secrétaire fédéral qui a maintenu sa candidature désavouée aux élections législatives de Moulins. Face à cette nouvelle situation pour les socialistes de l'Allier nous avons jugé qu'il était utile de vous communiquer sa déclaration.

« L’avenir est du présent que l’on remet en ordre. » J'ai fait le choix d'un engagement politique il y a dix ans. Il existe des gens pour lesquels l'adhésion à un parti vient comme une évidence, parce qu'ils appartiennent à un environnement militant ou qu'ils sont les héritiers d'une tradition élective. Je crois pouvoir avancer que j'étais le premier socialiste de ma famille et que ce choix n'était le produit d'aucun déterminisme. Ce que j'aime en politique c'est l'Humain: aller vers l'Autre, s'extraire des certitudes dans lesquelles notre jugement trop souvent s'embourbe, déchirer le voile de sa propre ignorance. Grace au Parti Socialiste, j'ai rencontré des vieux sages et des jeunes prometteurs, j'ai découvert des métiers et des univers que je méconnaissais. J'ai côtoyé des ouvriers qui avaient chopé le cancer, des retraitées dans la misère, des petits loulous de banlieue qui rêvaient de reconnaissance sociale, des haut-fonctionnaires de l'OCDE qui rendaient la vie dure aux multinationales. Je ne peux pas citer tous ces visages que j'ai aimés, toutes ces personnalités qui m'ont ému, endurci, appris, tous mes camarades qui ont parfois sacrifié beaucoup pour m'aider à cheminer et que je tiens à remercier chaleureusement. Il m'a aussi été donné de voir tous les tréfonds de l'âme humaine : des gens prêts à renier leurs amis pour figurer sur une liste ou sur une photo, des "Frères" qui perdaient leur Humanité pour se livrer aux pires combines, des ministres abdiquer leurs convictions sur l'autel de la discipline de parti ou de la raison d'Etat, des jeunes à la petite vertu trouver une voie plus rapide vers la Fortune, des barons locaux dont la boursouflure des egos tendait à la démence, des négociations de 12h dans des hôtels lyonnais ou des alcôves solfériniennes pour vendre des places comme de vulgaires tapis, des factures qui faisaient douter sur le sens de l'intérêt général de leurs auteurs . J'ai souvent affirmé que les partis étaient l'endroit sur terre où l'on croisait le plus de fous furieux, mais je ne dirai jamais que la politique est plus dure ou plus méprisable qu'une autre aventure humaine. L'expérience m'a appris par ailleurs que les intrigues de conseil d'administration, les élections de dirigeants d'association caritative, savent livrer leurs spectacles hideux, comme chaque petit bout de pouvoir que l'on jette aux Hommes. Comme dans toute famille, les Socialistes ne sont pas toujours d'accord. Nous vivons vite la maxime : "Frère, si tu diffères, tu m'enrichis". En arrivant en 2007, j'admirais que Bernard Kouchner et Jean-Luc Mélenchon puissent intervenir dans la même pièce. C'est l'idée que je me fais de la vie publique : quand les convictions sont affirmées sans détours, aucune n'est indigne à porter, tant que l'on respecte l'Autre dans son Humanité. Il m'est arrivé d'être ultraminoritaire, mais toujours écouté et entendu avec respect.
Ce que j'ai aimé dans les mandats que vous avez bien voulu me confier, c'était penser le réel et agir selon ses idéaux. J'ai pris en pleine face la rupture de notre système politique avec les catégories populaires, dont le sort a toujours occupé mon esprit, guidé mon coeur et remué mes tripes. J'ai connu les ors de la République et mesuré le fossé cruel qui les séparait du quotidien d'une ville moyenne de province. Je garderai toujours en mémoire les maires ruraux de l'Allier, j'ai tellement aimé la chaleur des foires entre Saint Désiré et Courçais, j'ai pris tant de plaisir à parcourir les chemins des cent six communes de la deuxième circonscription de l'Allier. L'action locale, c'est une femme enceinte à la rue à qui on trouve une solution en HLM, c'est une banque alimentaire qui s'achète un camion réfrigéré, c'est un artisan que l'on sort d'un labyrinthe administratif. Aucune gloire et beaucoup de mesure : on se contente d'user un pouvoir qui ne nous appartient pas - car il est au peuple- mais choisir, n'est-ce pas là déjà la première expression de la volonté ? Je ne suis pas un homme de pouvoir. Devenir maire, conseiller départemental, conseiller régional n'est pas un but de vie. Au printemps dernier, ce fut un honneur de recevoir la confiance de ma famille politique et de porter ses couleurs dans une des élections les plus dures de son Histoire. Je connais pourtant bien les limites du Parlement et je crois désormais plus à la démocratie directe qu'à la démocratie représentative. J'ai détesté que l'on me dise que j'avais une "belle carrière politique", devant moi ou à côté de moi. J'ai eu envie de frapper ceux qui affichaient un sourire dubitatif quand je leur disais que je considérais la politique comme un engagement bénévole et non comme un métier. Pour moi, l'engagement politique a toujours été, devrait toujours être, la version laïque de la religion. Je me considère comme un moine-soldat de la politique : à l'aune de ma dernière année de vingtaine, je m'aperçois ainsi que je n'ai pas vu passer les neuf premières. J'ai perdu de vue des amis, je n'ai pas vu mes frères grandir, je n'ai pas pris le temps de dire au revoir à ma mère avant qu'elle ne soit emportée par Alzheimer, j'ai fait souffrir plusieurs femmes formidables auxquelles je n'ai su promettre que des soirées d'interminable attente. Tout le temps que l'on donne aux autres, on ne le donne pas aux siens. La politique n'est que le service d'une cause qui nous dépasse. Cette cause plus grande que nous peut être poursuivie par d'autres voies. Des révolutions technologique, démographique et écologique rendront possibles l'impensable et feront advenir le souhaitable. Je souhaite penser ces révolutions, à l'abri des contingences, dans une structure résolument tournée vers les idées. Cette structure ne peut plus être le Parti Socialiste, tel que je le connais aujourd'hui et tel qu'il ne se transformera sans doute jamais. Je crois à la Ruse de la Raison, je pense que nous vivons un basculement de l'Histoire et je constate aujourd’hui qu'aucun comportement n'est à la hauteur. Je ne me suis jamais cru irremplaçable ou infaillible, et je sais que mes combats seront portés après moi, avec autant de conviction. Après dix années de militantisme, j'ai eu un sourire en voyant une génération émerger lors de la campagne des législatives. Je vais le dire abruptement: la politique partisane s'arrête ici pour moi et à compter de demain je redeviendrai un citoyen dans la Cité. J'irai trouver ailleurs les idées qui me manquent au PS. Pas en politique : je ne quitte pas un parti pour un autre. Je souhaite me consacrer à mes responsabilités professionnelles, pour mieux penser la révolution numérique. Je souhaite transmettre et recevoir et enseignerai à compter de lundi à l'Institut des Hautes Etudes Internationales et Politiques. Enfin, je souhaite travailler à l'ombre, où se loge l'Humanisme, pour construire un édifice commun. Nous ne sommes que les maillons d'une même longue chaine. Nous nous retrouverons. Amitié, Nicolas Brien

Daniel Delassalle