Discours de clôture de Bernard Cazeneuve le 10/03/2024 salle Olympe de Gouges à Paris
Extraits choisis.
« C’est à l’initiative d’Ariel WEIL, que je remercie de son accueil chaleureux, et des amis parisiens de La Convention que nous nous retrouvons, cet après-midi, dans cette salle dont le nom est, en cette semaine qui s’achève, plus que jamais emblématique. (…)
Mes amis, je vous retrouve une fois encore nombreux. Militants de l’espérance, vous savez que tout devient possible, lorsque des femmes et des hommes mobilisent leur énergie au nom d’une certaine idée de la France (…)
Nous savons que la France et l’Europe sont menacées par la poussée de la droite extrême et de l’extrême-droite. Et dans ces circonstances, notre ambition partagée, la seule qui vaille, est d’édifier des digues face à la vague que sondeurs et commentateurs prédisent, et que tant de discours, de comportements, de décisions, hélas, confortent au lieu de la contenir. (…)
Dresser des digues, c’est renoncer à renoncer. (…)
Nous sommes la gauche qui aspire à gouverner, qui sait que l’exercice du pouvoir n’est pas une mer d’huile et qui ose changer le cours des choses, au risque de l’impopularité du moment, parce qu’elle n’a pas d’autre préoccupation que l’intérêt supérieur du pays. (…)
Certains s’acharnent à empêcher le rassemblement auquel une immense majorité d’électeurs de gauche aspirent. Les adeptes du bruit et de la fureur veulent la disparition de la gauche de gouvernement pour consacrer la gauche de l’emportement, celle qui parle du grand soir mais jamais des petits matins, qui confond la critique et la politique, se privant ainsi de présider, de gouverner, de transformer. Au motif que nous avions prévu et dénoncé avec lucidité les outrances de la France insoumise, nous serions « de droite »(...)
Aucune intimidation ni aucun mensonge ne nous fera varier de ton ni de direction. Nous sommes la gauche républicaine et humaniste, sans le rassemblement de laquelle la gauche sera pour longtemps éloignée du pouvoir et la démocratie pour longtemps privée d’une alternative crédible. (…)
Nous sommes la gauche de l’apaisement, de la concorde et de l’altérité. (…)
Il y a dans les arguments de piteuse politique qu’on oppose au rassemblement de toute notre famille, à la veille des élections européennes, quelque chose qui relève à la fois du sectarisme et du calcul. J’appelle donc une nouvelle fois Olivier FAURE à lever les obstacles à l’unité de la famille de la gauche humaniste, républicaine et européenne. S’il veut que la liste qui représente le cœur de la gauche de gouvernement réalise le meilleur score afin qu’un espoir renaisse en France et en Europe, il est de son devoir et de son rôle d’agir de la sorte en renonçant, enfin, aux soustractions par excommunication, car dans PS, le S ne veut pas dire « sectaire ». (...)
Chers amis, le monde vit un temps de bascule. (…)
Lorsqu’on est membre d’une famille politique – la gauche démocratique – un triple devoir de fidélité, de lucidité et de volonté s’impose :
– La Fidélité à des valeurs dans le chaos du monde : le droit face à la force, la justice face à la marchandisation ; la sobriété désirable après le productivisme et plutôt que la décroissance ; l’éthique face à la technique ; le multilatéralisme contre le nationalisme et l’impérialisme. Une construction unique dans l’histoire de l’humanité et, sur une terre meurtrie par les guerres, un message à tous les belligérants du monde, et à tous les peuples ennemis, que la réconciliation et la coopération sont possibles.
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– Face au réel, la Lucidité est une obligation : nous vivons dans un monde dangereux. Ne pas l’admettre, c’est le rendre plus dangereux encore.
– Aujourd’hui, l’Occident – comme s’il s’agissait d’un bloc – est mis en cause par des régimes ou des organisations qui ont la démocratie, la dignité humaine, la séparation des pouvoirs, les libertés publiques en horreur et même en haine. Sur terre, en mer, dans les airs et par le cyber, les dictatures et les démocratures sont en campagne contre les sociétés de liberté, au seul motif qu’elles offrent à leurs peuples l’horizon d’une autre vie que la surveillance, la censure et l’oppression.
– Voilà pourquoi il faut, dirigeants et peuples, faire preuve de Volonté. L’Europe n’a ni la possibilité d’être indifférente, ni le droit d’être naïve. L’Europe ne doit pas seulement affirmer ses valeurs : elle doit défendre ses intérêts. (…)
Beaucoup de nos concitoyens français et européens s’interrogent : pourquoi aller voter aux élections européennes ?
Le dimanche 9 juin, il ne s’agit pas seulement, ni même d’abord, de désigner les 81 Français qui, parmi les 720 députés européens, siégeront pendant 5 ans au Parlement de Strasbourg, lui donneront une présidence avant d’élire celle de la Commission, puis exerceront leurs pouvoirs législatif, budgétaire et de contrôle politique, jusqu’en 2029. Il s’agit de dire dans quelle Europe nous voulons vivre ! Il s’agit pour les citoyens de dire s’ils veulent une Europe qui agit dans le monde ou qui subit benoîtement les orientations et les agendas dictés par les autres puissances. L’avenir de l’Europe ne saurait dépendre de l’humeur de Vladimir Poutine, des rapports de forces au sein du Parti communiste chinois ou du vote des électeurs de l’Iowa ! L’avenir de l’Europe, c’est aux Européens et à eux seuls de l’écrire et de l’accomplir.
C’est pourquoi le 9 juin, nous voulons mettre de l’Europe dans la gauche et mettre de la gauche dans l’Europe. (...)
Dans ce moment de bascule pour l’Europe, trois chemins politiques sont sans issue. Il y a d’abord l’impasse de l’extrême droite. Elle se présente pour siéger au Parlement. Mais elle aspire à sa suppression. Siéger ? Si seulement elle siégeait, l’extrême droite française(… )
Au Parlement européen, il y a aussi la régression de l’extrême gauche.
Comment oublier qu’au Parlement européen, par trois fois, les députés de La France insoumise ont choisi de s’abstenir :
– lorsqu’il s’est agi de condamner « le crime d’agression » de la Russie envers l’Ukraine
– lorsqu’il s’est agi de condamner «les atrocités commises par le groupe Wagner ».
– et le mois dernier, après la mort de NAVALNY, de mettre en cause le régime de POUTINE responsable de son empoisonnement, puis de son emprisonnement, et finalement de son assassinat.
Enfin, dans cette élection, il y a l’immobilisme de l’extrême centre qui est aussi la nouvelle droite. Depuis 2017 en France et singulièrement au cours des derniers jours, on peine à trouver la cohérence dans l’action de l’actuel pouvoir.
– Quelle cohérence y a-t-il à approuver le Green Deal en Europe et « en même temps » à réduire de 2 milliards d’euros les crédits dédiés à la Transition écologique dans notre pays ?
– Quelle cohérence y a-t-il à annoncer la réindustrialisation décarbonée en France et accepter en Europe des objectifs souhaitables dans leur principe, mais dont le rythme et la méthode, faute d’étude d’impact rigoureuse, ne permettront pas de les atteindre dans les temps impartis et sans dommage pour l’emploi ? Comme par exemple la fin programmée des voitures thermiques neuves en 2035.
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– Comment cet objectif a-t-il pu être fixé par la Commission européenne sans, « en même temps », garantir que le véhicule électrique sera partout et pour tous accessible ? Je parle ici de l’accès économique, je parle de prix et donc de pouvoir d’achat.
– Quelle cohérence y a-t-il à dénoncer et démanteler la nouvelle PAC au Salon de l’Agriculture et « en même temps », au Conseil et au Parlement européens, à accepter que 80 % des aides de l’Union européenne soient captés par 20 % des agriculteurs ?
– Et quelle cohérence y a-t-il encore à fustiger les accords de libre-échange sans réciprocité ni clauses miroirs et, « en même temps », à approuver au Parlement de Strasbourg les accords commerciaux avec la Nouvelle-Zélande, le Kenya et le Chili comme hier au Parlement français le CETA ?
Le seul chemin pour l’Europe qui ne soit pas une impasse, une régression ou une stagnation, c’est le chemin proposé par la gauche démocratique, sociale et écologique. (…)
4 chantiers qui doivent être impérativement engagés dans les prochaines années.
– Le chantier énergétique suppose un plan européen d’électricité décarbonée. Ce qui nous conduit à poser la question de la justice fiscale continentale, du nécessaire rééquilibrage, au niveau européen, entre fiscalité du capital – y compris du capital non européen – et fiscalité du travail, entre fiscalité des très hauts revenus et fiscalités des revenus moyens et modestes. Je suis de gauche et j’appelle à une fiscalité juste et efficace :système énergétique, écologie, justice sociale et justice fiscale sont intimement liés.
– Le chantier social-écologique appelle la rénovation thermique des logements et des bâtiments dans toute l’Union. Pour l’efficacité énergétique. Pour le soutien aux filières industrielles des éco-matériaux et de la construction – de l’innovation à la réalisation en passant par la production en Europe. Pour la création d’emplois non délocalisables. Pour ne pas peser sur les budgets des États membres, confrontés à un mur d’investissements.
– Le chantier géopolitique, c’est celui de l’urgence d’une capacité d’action de l’Europe face aux menaces qui se multiplient. Ce qui se joue actuellement en Ukraine a quelque chose d’existentiel pour le projet européen : si nous laissons la Russie gagner en Ukraine, POUTINE poursuivra sa course folle. Ne pas aider l’Ukraine à sauver sa liberté serait, à terme, renoncer à la nôtre.
Et , si Donald Trump remporte l’élection américaine, c’est à un affaiblissement fatal du lien transatlantique auquel nous devons nous préparer. L’Europe doit pouvoir se défendre militairement, chaque fois que ses intérêts sont menacés. Cette défense européenne, nous acceptons bien sûr de la bâtir dans le cadre de l’OTAN. Mais construire avec l’OTAN, ce n’est pas accepter que se perpétue une dépendance de sécurité absolue à l’égard des États-Unis.
Nous croyons enfin que l’Europe doit pouvoir parler d’une seule voix, et surtout parler clair, dans les crises qui se multiplient à ses portes ou dans celles qui, comme aujourd’hui à Gaza, mettent en cause les valeurs mêmes qui nous unissent. Parler clair, c’est d’abord ne pas renoncer à nommer : l’horreur que nous inspire le terrorisme fondamentaliste de ceux qui se sont livrés, le 7 octobre, à la pire tuerie antisémite depuis la fin de la seconde guerre mondiale ; mais aussi l’inhumanité d’une réaction militaire si manifestement disproportionnée, de la stratégie du précipice d’un gouvernement qui tue et plonge tout un peuple dans une souffrance indicible, qui ne fait que nourrir la colère et les extrémismes de demain
– Le chantier démocratique montre le chemin de l’Europe de la citoyenneté et pour la jeunesse. Qui dit démocratie dit citoyenneté. Et qui dit citoyenneté, dit mobilisation de la jeunesse.
– Être citoyen européen aujourd’hui, c’est d’abord bénéficier matériellement de la libre circulation en Europe. Mais c’est aussi l’aspiration à de nouveaux combats, pour conquérir des droits, pour la justice et la liberté.
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– Pour y parvenir, l'Europe ne peut compter que sur l’ardeur de sa jeunesse. On parle toujours d’Erasmus mais Erasmus ne concerne que un pour cent d’une classe d’âge. Cela ne suffit pas à faire société. Il nous appartient donc d’inventer le grand projet générationnel dont la jeunesse européenne a besoin, celui qui créera une expérience commune, partagée par l’ensemble des jeunes Européens. J’ai en tête un Erasmus inscrit dans le cursus universitaire ou professionnel de tout jeune Européen.
Je souhaite pour la jeunesse européenne l’expérience commune d’un service de citoyenneté européenne obligatoire ou du moins très incitatif, de 6 à 12 mois, financé par l’Union européenne, et pouvant se décliner en un séjour d’étude, un séjour d’apprentissage ou de volontariat, un séjour professionnel ou d’entrepreneuriat. À chaque jeune Européen de choisir le contenu de ce temps de vie. Mais chaque jeune Européen aura en partage cette expérience formatrice, ferment d’une société européenne.
Nous sommes, mes chers amis, la gauche fidèle à la République, fidèle à l’Europe, fidèle à l’internationalisme. La gauche qui ne perd jamais de vue la justice sociale, mais qui regarde en face la réalité géopolitique du monde, les conditions de vie des citoyens, notamment celles des salaires des ouvriers, des agriculteurs, bref de tous les travailleurs. Nous sommes la gauche qui veut gouverner, qui prend le risque de changer le monde, qui n’a pas peur d’affronter le monde tel qu’il est pour en changer le cours. Nous sommes la gauche des mises à l’épreuve des faits, la gauche qui cherche, qui doute parfois, qui écoute, qui s’ouvre à ceux qui ne pensent pas comme elle, par goût du débat, par passion de convaincre. Nous sommes la gauche qui propose, porteuse de solutions adossées à des convictions.
Soyez vous-mêmes, ne changez rien, ne vous laissez pas impressionner et poursuivons ensemble le combat pour les causes que nous croyons justes. Tout le reste viendra de surcroît. Cela je vous le promets.